L'équipe du "KIDS SHOW" vous souhaite la bienvenue. Ce récit de harcèlement scolaire raconte mon année de CM2, et vous sera livrée par épisode au fur et à mesure de son écriture, par un narrateur qui n'aime pas spécialement les gosses.


THE KIDS SHOW

 

CHAPITRE 1 

 

Salut les p’tits amis ! Vous aimez la violence ? Vous voulez des conseils pour mettre une raclée à un camarade de classe ?

Comment faire gicler les dents d’un copain un peu simplet ? Faire passer un pétard qui explose pour un pétard qui se fume, allumer la mèche et lui dire d’aspirer ?

Ça tombe bien ! Je me présente : je suis Monsieur G. Je serai votre guide et narrateur à travers le récit soporifique de Vincent pendant son année de CM2.

Vincent, c’est le gosse effacé, là assis à l’écart, vous voyez le genre ? Celui qui ne parle à personne et à qui personne ne parle :

EN-NUY-YEUX. Mais rassurez-vous : il va se faire humilier et casser la gueule dans les pages qui viennent, de quoi vous divertir. Vous ne regretterez pas d’être venus !

 

 

1

 

 

Nous voilà en octobre 2001, en classe de CM2.

 

À la question de Mme Poulain, des bras se lèvent – les chouchous, comme le répète en ricanant Teddy Lemaître, le garçon le plus costaud de la classe. La maîtresse prend quelques secondes pour savoir laquelle de ces chères têtes blondes elle va interroger, pendant que les bras se tendent comme des saluts nazis.

Et puis il y a les gamins qui ne lèvent pas la main : Vincent, bien sûr, puisqu’il est timide et trouillard (« Doit prendre confiance en lui et participer davantage en classe » c’est ce que dit l’appréciation sur son bulletin trimestriel, hé hé) ; et, Teddy Lemaître, le caïd, secondé par Nicolas, son meilleur copain. Ce n’est pas demain la veille qu’un prof leur conseillera de « prendre confiance eux », à ces deux-là.

 

Notre histoire commence un matin d’évaluation. Le 13/20 tracé en rouge sur le contrôle de Vincent lui vaut les félicitations de Nicolas. (Le coup d’épaule lui fait mal.)

Teddy est déjà sorti de la classe, et plante sur Vincent un regard très courtois, avec cette façon de sourire bien à lui, que Vincent appelle dans sa tête le « sourire à emmerdes ». Ce genre de mondanités est souvent suivi d’une béquille, mais il semble que ce matin, Teddy ne soit pas très dynamique : il s’approche de Vincent, laisse entre eux la distance d’une règle d’écolier, puis se siphonne les narines et la gorge, et crache un mollard sur la copie, pile à l’endroit où la maîtresse a inscrit sa note.

« Tu vas pas cafter, pas vrai ? » dit Teddy.

Comme Vincent ne répond pas, Teddy répète sa question, avec un petit coup de l’index sur le front de l’intéressé pour voir s’il y a quelqu’un là-dedans.

Nicolas se place dans le dos de Vincent et Teddy s’avance – front contre front – jusqu’à ce que sa proie lui semble stupide et effrayée, grillée à point.

Les ennuis avec Teddy auraient pu rester à un niveau d’emmerdement basique avec ce crachat ; sauf qu’après la récré, Mme Poulain fait savoir qu’une erreur s’est glissée dans les questionnaires, et qu’elle doit reprendre les copies pour recalculer les points.

Elle passe dans les rangs et ramasse les feuilles ; Vincent tente d’essuyer la morve avec sa manche.

Mme Poulain s’arrête à côté de son pupitre.

« Tu peux m’expliquer ça ? » dit-elle, tendant sèchement un index sur ce qui ressemble vaguement à.... une limace de morve.

Vincent pense : Non, Maîtresse, je peux pas. Sinon, Teddy et Nicolas vont me taper.

C’est qu’il est naïf, notre Vincent : comme si Teddy et Nicolas avaient besoin d’un prétexte ?

Le voilà privé de récréation pour la journée.

Mme Poulain l’autorise à quitter la classe pour aller aux toilettes, qui se trouvent sous le préau.

Sur le chemin, il croise Delphine.

Ah ! Delphine, elle n’intervient pas beaucoup par la suite, mais ce serait presque ma préférée. Voilà une gentille petite fille, mignonne (elle me donnerait envie de sortir avec un long imperméable et un paquet de sucettes à l’anis planqué dessous).

Delphine, c’est aussi la seule fille de toute l’école qui adresse spontanément la parole à notre Pauvre Vincent. Ils se croisent sur le chemin du préau : « Ça va ? » demande-t-elle ; Vincent marmonne que oui, qu’il est puni, c’est tout.

De toute façon, il n’aime pas la récré. Les garçons et les filles se courent après, jouent à la marelle, se chahutent, se disputent pour leurs de matchs de foot : et toi, mon p’tit gars, tu préférerais être ailleurs, pas vrai ? Hein que ça te fait peur tous ces VISAGES, et tout ce BRUIT ?

Delphine sort de la classe et croise à nouveau Vincent qui vient de pisser et regagne ses geôles.

Assise à son bureau, Mme Poulain lui fit signe d’approcher :

« Delphine vient de me dire qu’elle t’a vu ce matin. Elle dit que Teddy et Nicolas t’ont embêté. C’est vrai ? »

Vincent-dans-sa-tête : Oh... Merde...

Il ne répond pas. S’il parle, la maîtresse lève sa punition, mais elle punira Teddy et Nicolas, et ça lui retomberait dessus avec le poids d’une enclume.

La maîtresse ajoute :

« Ne t’en fais plus. Va jouer dehors. »

Vincent peste en silence – putain de récréation !

Il sort, s’assied à distance des filles et de leurs jeux, regarde Delphine, et réalisant que sa Bien Intentionnée Camarade l’a fichu dans le pétrin, il se dit – car il va au catéchisme le mercredi –, que L’Enfer est pavé de bonnes intentions. (Ce qui donne, avec ses mots d’enfants : « Tu pouvais pas la fermer ? »)

Curieusement – assez curieusement pour que moi, votre humble Narrateur, je m’en étonne –, rien n’arrive pendant une semaine. Mme Poulain a pourtant passé un savon aux deux garçons, mais en dehors de quelques subtiles menaces (Teddy traçant de l’index le passage d’un couteau sous sa gorge), il n’y a pas de représailles.

Pourtant, Vincent a l’impression que quelque chose se prépare, qu’on l’épie. Et son radar à emmerdes le trompe rarement.

 

*

 

Enfin... Poursuivons notre visite de l’école. Mes enfants, que de soupirs… il faut que je vous raconte un match de foot, et ça me fait ch*** !

Mais gardons le sourire : aujourd’hui, Vincent va subir une odieuse, une innommable, une abominable humiliation. Ça promet au moins quelques événements croustillants.

 

Ce matin, par exemple, Delphine a observé Vincent pendant la récré. Il s’est acheté une voiture avec son argent de poche et joue avec en imitant des bruits de Formule 1 avec sa bouche, pendant que de l’autre côté de la cour, les garçons – les vrais mecs (ça n’a pas un poil au sifflet mais ça se la pète déjà) jouent au foot, et ça crie dans tous les sens, parce qu’il y a faute, et le gardien de l’équipe battue s’entend sermonner de quelques : « T’es aveugle ou quoi, pauv’ naze ! »

Parmi la bande d’imbéciles qui composent ces athlètes, c’est toujours Marc qu’on entend le plus, parce que c’est lui qui forme les équipes.

Marc : garçon intelligent et prétentieux, doué en sports, et dans à peu près toutes les matières. Il plaît aux filles (sauf à Delphine) ; bref, un de ces gamins nés sous une bonne étoile qui peuvent récolter des bonnes notes et les éloges des professeurs sans que les autres le traitent de chouchou ou de lèche-cul.

Donc, Marc sélectionne d’abord ses copains – dont Bastien, avec qui il est inscrit au foot le samedi –, et puis les « autres copains » qu’il considère comme pas trop nuls.

Ce même matin, à la fin du match, Delphine se dirige discrètement vers le terrain. Elle est notoirement l’ « amoureuse » de Bastien depuis la fin du CE2, parce qu’ils prennent le goûter et font parfois leurs devoirs ensemble. Elle n’aime pas qu’on la chahute à ce sujet ; vous le connaissez tous, le classique : « Ouh les z’amoureuux ! » C’est humiliant venant des garçons, et venimeux dans la bouche des filles.

Bastien et Delphine s’arrangent pour se donner des rendez-vous dans un buisson qui sépare la cour de récré de la rue elle-même, hors de vue des professeurs surveillants et des élèves. La planque n’est pas vraiment tranquille, mais c’est la meilleure qu’ils ont pu trouver.

Suivi de Delphine, Bastien se fraye un passage dans le fouillis de haies mal taillées, à moitié mortes. Ils doivent s’accroupir. Au-dessus de leurs têtes, les branches serrées et les feuilles jaunies forment un tunnel.

Bastien dit fièrement qu’ils ont gagné le match.

Delphine répond que c’est chouette.

« Dis, fait Delphine en baissant les yeux, tu veux bien m’aider pour quelque chose ? »

Le garçon sourit : bah oui, après tout ça sert à ça, les amoureux. Sauf si Delphine a dans l’idée de lui refiler ses devoirs.

Delphine explique sa requête, et à la réflexion, faire ses devoirs à sa place serait moins pénible.

– Sérieux ? dit Bastien, T’es sérieuse ?

– Ben oui...

Est-ce que ça tourne rond dans sa tête ? Qu’il demande à Marc de prendre Vincent dans leur équipe ?

– Juste pour un match... précise Delphine.

Bastien : n’a ni bonne ni mauvaise opinion de Vincent. (Pour faire simple : il s’en fout.)

Par contre : connaît bien Marc (il veut toujours gagner). Il ne voudra jamais que Vincent joue avec eux. En plus, il sait que Mme Poulain a gardé Teddy et Nicolas après la classe, à cause du mollard sur son contrôle. Déjà que Marc n’aime pas Vincent, maintenant il dit que c’est un cafteur.

Bastien pense que le sujet est clôt, mais quand il fait mine de sortir du Buisson, Delphine dégaine un argument qui, curieusement, le fait réfléchir :

« Vincent, il a pas d’amis. Et tu sais quoi ? Il a rien dit : c’est moi qui aie rapporté à la maîtresse, parce Teddy est toujours un salaud avec lui, et personne dit jamais rien. »

Il se passe presque une minute.

Bastien : réfléchit...

Delphine : attend la réponse, et réfléchit aussi... (surtout que maintenant, c’est elle, la « cafteuse ».)

« D’accord, soupire Bastien. Je vais essayer. »

 

*

 

Notre brave garçonnet réussit, non sans mal, à convaincre Marc, qui répond que Vincent, sa place, c’est aux chiottes, et pas sur leur terrain. Et de toute façon, l’équipe est complète.

Bastien insiste : il dit... 

… en fait, je ne sais pas ce qu’il dit, j’ai pas écouté. Ce chapitre m’emmerde, et Marc, malgré ses seulement-presque-dix-ans, j’ai envie de le traîner à l’arrière de ma voiture. (Un petit 50 à l’heure pour que le gamin soit pas trop amoché, et je le rends à sa mère avec un flacon de Mercurochrome.)

Mais bon, allons-y pour la corvée...

 

Arrive l’après-midi.

Bastien demande à Vincent de venir jouer.

Ce dernier, muet et réticent, le suit, parce que la maîtresse qui surveille la cour l’y encourage. C’est Mme Rochard, et cette charmante dame, pour lui attribuer le mot juste, est une connasse. Les gens croient qu’elle fume tellement sa voix est devenue râpeuse à force de râler. Elle n’aime pas les enfants seuls dans leur coin, ça l’exaspère. D’ailleurs, elle n’aime pas beaucoup les enfants un peu « spéciaux ».

Vincent hésite : jouer au foot avec les mecs qu’il n’aime pas, ou prendre une remarque de la maîtresse...

Il est déjà sur la pelouse, mêlée aux attroupements, quand Mme Rochard, sa tasse de café à la main, rentre dans la salle des maîtres.

 

Bon, pardonnez-moi les amis, mais je me fais trop chier. Je vais prendre un cours de grammaire avec ma « maîtresse ». Je vous laisse en narration automatique. À tout de suite !

 

(– Allô, Chérie ? Ouais, je suis en pause. Ça te dit, un petit « lape-suce » ?)

 

Pendant l’absence imprévue de Monsieur G., la direction du « Kids Show » vous informe que :

– Vincent passe la majeure partie du match sur la touche.

– Marc passe le ballon à Bastien, qui le passe à Arthur, qui le passe un autre, l’autre le repasse.

– Une des équipes marque un but. Les garçons crient « On est les champions ! »

– L’équipe de Marc est en difficulté. Marc est mauvais joueur. Marc décide de faire entrer Vincent sur le terrain.

– Vincent est mauvais joueur, au sens littéral du terme : il joue mal. Il maudit Bastien qui lui a dit de venir jouer.

 

(– … T’es tellement douée avec ta… Surtout t’arrête pas, je regarde juste où ils en sont) :

 

En l’état, les p’tits amis, Bastien pense que l’idée de Delphine que Vincent fasse copain-copain avec eux partait d’une grande noblesse d’âme, mais était complètement idiote.

L’équipe de Marc est en très mauvaise posture, le score déséquilibré au possible.

Vincent leur fait perdre le match.

Un joueur de l’équipe adverse dribble et feinte Marc, et remonte le quart de pelouse, et... et il se met position pour marquer, il tire... et... et oui c’est le

 

(–BUUUUUTE !!!

Nan mais... reviens Chérie, je disais pas ça pour toi !)

 

Voilà, on arrive au passage que je préfère :

Marc s’approche de Vincent.

« T’as bien joué, qu’il lui dit (Dieu que ce gamin ment mal...), T’es pas mauvais. Vous trouvez pas, les gars ?

Tous les copains de Marc se donnent le mot, sauf Bastien – ce qui est un peu bête venant de lui, vu qu’il a presque l’air surpris, presque l’air de seulement flairer la chose ; enfin, passons, il n’a que neuf ans.

– Ouais, continue Marc, Tu te défends bien pour un débutant.

(Il est tellement crédible, ce morveux. Eh, mon Vincent, mon chou, qu’est-ce que t’attends pour te barrer de là ?)

À la décharge de notre anti-héros passif, je dirais qu’à huit contre un, étant donné la superficie restreinte de la cour de récréation, il n’y a guère d’endroit sûr où se planquer rapidement.

Et Hop ! Marc et ses copains – excepté Bastien, autant par lâcheté que par pitié pour Vincent –, portent leur nouvel ami en Triomphe :

« Pour le Débile ! Hip Hip Hip !

- HOURRA !

- HIP HIP HIP !

- HOURRA !!! »

Marc félicite copieusement le héros du jour : une petite tape amicale, suivie d’une lourde claque dans le dos, puis il s’accroupit avec aisance et hisse Vincent sur ses épaules.

Mesdames et messieurs, c’est la liesse ! Un véritable chahut de compliments ! Vincent passe des épaules de Marc à celles d’autre garçon, et de l’autre garçon au petit gros qui s’appelle Arthur. On peut même dire que c’est un trophée plus disputé que le ballon quelques minutes plus tôt pendant le match.

À la quatrième passe, Vincent se trouve déséquilibré, il agite les bras, et manque de tomber à la renverse.

Heureusement, il est fermement retenu par Arthur. Arthur passe Vincent à Marc, et le cortège s’improvise, Marc en tête, retenant fermement Vincent par les chevilles – faudrait pas qu’il tombe –, suivi d’une traîne de garçons survoltés.

Mes p'tits amis, on se croirait le soir la Coupe du Monde. Manquent plus que la pluie de confettis et les félicitations du Président de la République.

Là, je crois qu’ils chantent : « On est les champions ! »

Marc desserre malencontreusement sa prise, si bien que la tête de Vincent se rapproche de quelques centimètres du gravier : ça traîne, ça cogne, ça traîne, ça cogne...

On me dit dans l’oreillette que c’est le moment de l’exhibition et que Vincent est présenté aux supporters en délires (il récolte quelques coups de pieds au passage, mais ce sont les risques du métier).

C’est le tour des jeux ! du toboggan ! et des balançoires ! Notre vainqueur fait une vilaine grimace à cause du gravier qui lui écorche le sommet du crâne. (D’ailleurs, gamin, il serait bon que tu arrêtes de te tortiller et de te débattre. Y a des filles qui regardent, et c’est du plus mauvais effet.)

On nous signale un détour par le buisson où Delphine et Bastien se sont retrouvés le matin même, quand Delphine a demandé à Bastien de faire jouer Vincent parce qu’il n’a pas d’amis.

On répète tous en cœur : « L'Enfer est pavé de bonnes in-ten-tions. »

Bon, où en sont-ils, cette bande d’attardés prépubères ?

Ah ! Le cortège traverse à présent la cour bétonnée pour atteindre le préau. On le traîne par les pieds pour le conduire jusqu’aux W.C. Ça devient juteux !

Pour le grand final, toute la mêlée s’agrippe au à lui.

On tient Vincent la tête en butée contre le robinet du lavabo. (Il vient de se prendre un coup de tuyauterie sur le front : faudra que sa maman y fasse un bisou magique.) Marc le shampouine avec la terre ramassée sous ses semelles : d’une main vigoureuse, il lui ratisse les cheveux ; puis il ouvre l’eau et lui rince les cheveux, les yeux et la bouche.

C’est dire si ces gosses si attentionnés. Ils offrent le shampoing ET le rinçage.

 

Mais toutes les bonnes choses ont une fin.

La cloche sonne.

C’est l’heure des maths, avec M. Lacroix. Le cours que tous les élèves redoutent, parce que M. Lacroix est le directeur de l’école, en plus d’enseigner les mathématiques.

M. Lacroix, c’est un modèle d’enseignant et de pédagogie. Un salaud très présentable comme on n’en fait plus. Élégant, le crâne un peu dégarni, mais cela est compensé par l’auréole 75 watts qu’il chausse tous les matins. (Peut-être après avoir honoré sa femme : la rumeur dit qu’il a un fils).

Les garçons qui soulèvent les jupes des filles, ça le fait doucement ricaner, de même que ceux qui se bagarrent. Tout ça, c’est de bonne guerre.

Mais la vue d’un enfant solitaire qui se tient à l’écart pendant qu’il boit son café... chez lui, c’est encore pire que chez Mme Rochard, ça lui démange l’occiput. Il ne tolère pas qu’on reste en sécurité dans les jupes des institutrices.

 

Vincent revient en classe un quart d’heure après que la cloche a retenti.

Il a essayé de se décrotter les cheveux sous le robinet, pour un résultat intéressant : à un mi-chemin entre la banane d’Elvis Presley et la chiffonnade de cheveux de Robert Smith de The Cure.

« La cloche a sonné depuis quinze minutes. D’où venez-vous comme ça, Monsieur Deschamps ? »

Notez la voix du directeur, grave et raffinée : douce comme de la laine de verre.

Vincent est en retard, debout devant les autres, les cheveux sales et hirsutes. Il espère que M. Lacroix l’enverra à sa place.

Mais le directeur ne lui permet pas de disparaître dans les rangs. Il aime mater les « dissidents » en les exposant en place publique.

« Pardon, Monsieur, bredouille notre Victime attitrée, J’ai joué au foot avec les autres. Je suis tombé et je me suis sali. J’avais plein de terre dans les cheveux.

- Il vaudrait mieux vous abstenir de jouer au football dans ce cas. »

Sourcils froncés, M. Lacroix prend une liasse de photocopies qu’il rassemble proprement. La classe observe Vincent à la dérobée.

M. Lacroix entame la lecture de son document.

Vincent surprend des coups d’œil furtifs – ceux qui ont pris part à son baptême dans les W.C. ; les autres se sont réfugiés dans leurs cahiers.

Quelques instants plus tard, le directeur s’interrompt, tourne la tête, toise Vincent :

« Qu’est-ce que tu fais encore-là ? Tu veux faire cours à ma place ? »

À l’avant-dernier rang, Teddy Le maître fixe le directeur, les yeux comme des meurtrières : il rêvasse à la façon dont il pourrait dégonfler les pneus de la voiture du dirlo après les cours.

Nicolas, ça le fait marrer de voir cette petite crotte de Vincent se taper la honte, même si lui aussi déteste le directeur. Il sourit, se souvenant d’un après-midi qu’il a passé avec Teddy, à faire leur devoir. À force de chercher des gros mots et leurs équivalents dans le dictionnaire, ils ont trouvé le mot « pénis ». La prononciation du mot et le schéma ont provoqué un fou rire qui leur a laissé les larmes aux yeux et les abdos en compote.

« Tête de Pénis ! s’était exclamé Teddy en essayant de retrouver son souffle. C’est de ça qu’il a l’air, le dirlo ! »

 


CHAPITRE 2

 

 

Introduisons plus en profondeur quelque chose de gros et de laid.

Je vous ai parlé quelques pages plus haut de Arthur, le garçon petit et gros. Bon, eh bien, en plus de ça, il est moche. Par contre, il n’est pas bête. C’est l’un des antagonistes principaux de cette histoire. Pour les plus crétins d’entre vous – même si je ne porte AUCUN jugement – un antagoniste, c’est un méchant intelligent qui veut contre-carrer les plans d’un gentil con.

À l’heure où nous en parlons, il est consigné par la punition de fin de journée. (Délit de rendage de devoir avec beaucoup de ratures et très peu de réponses.)

 

Quelques informations inintéressantes à ce sujet :

– Les professeurs se relayent d’un soir sur l’autre pour surveiller les élèves punis.

– Durée, une heure, généralement pas plus de cinq ou six élèves.

– Certains, comme Teddy et Nicolas, sont des pensionnaires récurrents, d’autres atterrissent là par accident, pour avoir oublié de faire leurs leçons, ou pour avoir chahuté ou « pété » en classe. (Arthur est un virtuose en la matière.)

Ce soir, parmi tout ce beau monde, se trouve un invité accidentel : Clément.

Clément, c’est le meilleur ami de Vincent. C’est aussi son seul ami, mais il est tellement effacé et « spécial » qu’aux yeux des autres, ça ne compte pas vraiment.

 

Voilà ce qui s’est passé.

Pendant l’heure de maths, sous la présidence rigide du Sir Lacroix, Arthur a défié Clément. Il lui a parié qu’il n’oserait pas crier « J’ai la gaule » en classe.

Arthur a aussi ajouté, d’un murmure provocateur, aussi efficace qu’étudié :

« T’auras pas les couilles... »

Vous l’aurez compris : Arthur aime bien pousser les autres à faire des conneries.

Il est gras, sournois, calculateur, fan de football ; un lèche-cul de plus au derrière de Marc, mais du genre à savoir économiser sa langue et doser sa salive.

Toujours est-il que Clément l’a fait.

Il a crié : « J’AI LA GAULE ! », avec une articulation parfaite, et d’une belle voix de castrat. Dommage, M. Lacroix n’a semble-t-il pas apprécié cette performance.

Clément a écopé d’une heure de retenue.

 

Je recommence à bailler... Remarquez, il n’y a pas grand-chose de distrayant à raconter pendant une punition.

Si, à la rigueur on peut s’attarder sur Clément.

Vous vous rappelez sans doute d’un camarade de classe qui paraissait mou, et que tous les professeurs détestaient, même si ses notes étaient correctes, voire bonnes. Si, vous voyez : celui qui avait l’air un peu ralenti, mais qui n’en avait que l’air.

Bon, eh bien, ce n’est pas le cas de Clément.

Il n’est pas bête, mais mauvais dans presque toutes les matières, sauf en maths – ce qui agace un peu notre bon M. Lacroix, puisque c’est la seule matière où il ne peut chercher de poux au garçonnet. Il a... un aspect... taciturne... Un visage vide avec des yeux à peine plus remplis. (Ses parents disent qu’il a des « nuages dans les yeux », et bizarrement, c’est assez proche de la vérité.)

Clément regrette d’être puni un soir où M. Lacroix surveille. Il y a d’un côté les instits comme Mme Poulain qui autorisent les gamins à faire leurs devoirs ; l’autre catégorie, Mme Rochard, qui s’en fout, du moment que les puniteux ont l’air de travailler ; et enfin Monsieur Auréole 75 Watts sur piles longue durée, qui interdit formellement aux punis de s’avancer, et leur distribue des liasses d’exercices de maths. (Croyez bien que tous les exercices que vous n’aurez pas faits à la fin de l’heure, vous y passerez les récréations suivantes.)

Clément est venu à bout de la moitié des exercices.

Un rang derrière lui, c’est un poil plus intéressant : Teddy n’a rempli qu’une feuille ; il a les yeux brillants et un petit sourire en coin. Pas le sourire à emmerdes que redoute Vincent. Le sourire qui dit : « Je vous emmerde. »

Le directeur s’en aperçoit. Il se lève, saisit la copie de Teddy.

Teddy a écrit : « MERDE », en lettres capitales, à la place des réponses. Pour tout dire, c’est assez marrant à voir : 8 divisés par 4 = MERDE, 12 divisés par 3 = MERDE. Imaginez un mioche réciter ses tables de multiplication à ce rythme !

 

Le directeur pose sa main droite sur le pupitre pendant que je me récure les narines.

Il sourit froidement sans quitter Teddy des yeux. (Lui, il a la version CAPES du « sourire à emmerdes ».) Avec une exquise délicatesse, il chiffonne la feuille couverte de « MERDE » :

« Je suis très surpris du sérieux avec lequel tu prends tes punitions, dit M. Lacroix, Peut-être que quelques récréations de moins et une retenue de plus te feront réfléchir. »

 

Vous vous demandez où nous allons avec tout ça ?

Tintintin...

N’oubliez pas que Teddy croit qu’il est en retenue à cause de Vincent.

Et rassurez-vous :

Le « Kids Show » vous a promis plein de moqueries et de cassages de gueules. La suite au chapitre suivant.

 


CHAPITRE 3

 

 

Le lendemain du match, Vincent se rend à l’école, tête basse, tout tristounet.

(Dans sa tête, ça ressemble à un défilé de tableaux de Munch, genre : « Le Cri ».)

Les autres le trouvent bizarre, il le sait

Il faut dire qu’un jour, en maternelle, il a mordu un enfant au poignet. Ça lui a paralysé l’index.

Un pleurnichard avec une toute petite quéquette et rien dans le slip.

C’est comme ça qu’on le voit.

Concernant la taille son organe, il a 9 ans. Et concernant l’absence d’organe dans son slip, se référer à la phrase précédente.

 

Il aperçoit Clément, installé dans le coin des billes, loin de l’effervescence des jeux des filles et du terrain de foot, assis en tailleur au pied d’un arbre, en train de creuser des trous dans la terre grise avec un bâton. Clément est comme on l’a dit, calme et peu réactif, du genre à se taire tout le temps et à ne regarder nulle part.

Vincent rase la haie pour rejoindre son copain, MAIS, en traversant la cour, il s’aperçoit qu’Arthur le guette depuis le terrain de foot. Arthur soulève un pan de son pull, se fend d’un sourire qui resserre les intestins de Vincent – Ô douce diarrhée ! – et se met à pétrir son ventre gras.

 

Que diriez-vous d’un petit flash-back ?

 

Arthur a emménagé deux ans plus tôt dans un quartier de Mornay, à deux maisons de chez Vincent.

À l’époque, il vient souvent lui proposer de jouer au foot avec lui sur la place, en haut de la rue. Vincent a beau être intelligent (ou d’une « intelligence différente », comme le disent parfois ses parents), il s’est montré très crédule.

Arthur s’est fait passer pour un garçon solitaire et mal-aimé, comme lui : Est-ce que ça lui dirait de jouer au foot ?

Vincent a toujours détesté le football, mais il n’avait personne avec qui jouer dans le quartier.

En ce temps, voici à quoi ressemblent leurs après-midi :

Arthur exige qu’ils s’entraînent aux penaltys, et que Vincent prenne la place du gardien. Il prend son temps pour tirer dans la haie, entre les deux manteaux qu’ils ont posés par terre pour délimiter le but.

Il fait rouler le ballon de gauche à droite, pendant deux ou trois minutes, puis tire, toujours très fort, soit complètement à l’opposé de Vincent (alors il se bidonne), ou bien vise toute bonnement son camarade de jeu, sans essayer de marquer.

Un après-midi, Vincent se rebiffe : Il ne veut plus jouer avec Arthur ! Ras-le-bol du foot ! Arthur prend alors un air piteux, et montre deux raquettes de tennis.

Ce jour-là, Arthur lui balance la balle de tennis en plein visage.

Yiks ! Ça fait mal.

Vincent titube, la vue brouillée. De grosses gouttes de sang éclatent sur bitume ; il essaie de respirer par le nez, crache par terre tout le ketchup qui lui remplit la bouche. Tout cela pendant que Arthur le houspille pour qu’il récupère la balle.

(Notez que ce n’est pas inintéressant, la façon dont notre petit blessé a saigné par terre. On dirait une œuvre d’art moderne, quelque chose comme : « Constellation terrestre au crépuscule sanglant. ». Ça sonne bien, vous ne trouvez pas ?)

« Pourquoi t’as fait ça ?! » s’écrie Vincent d’une voix éraillée. Arthur triture l’épaisse portion de chair à saucisse qui lui tient lieu de ventre ; il râle d’un ton badin :

« Quoi, tu vas chialer ? »

Depuis, il n’a plus accepté de jouer avec lui, même quand Arthur insistait, presque suppliant.

Un ou deux jours plus tard, Arthur a raconté à tout le monde que Vincent a les chocottes de se prendre des projectiles dans la tronche, et qu’il a un cochon d’Inde nommé « Croquis ». (Et aussi qu’il joue aux Barbies, ce qui est faux, mais comme toute rumeur, moins c’est vrai, mieux ça passe.)

 

Ceci est la fin du flash-back.

 

Alors que Vincent se dirige vers Clément, Arthur s’écarte de la haie, presse le pas, et fond sur lui :

« T’as pas envie de jouer au foot aujourd’hui ? »

La mère de Vincent lui a toujours conseillé d’ignorer les provocations et les moqueries, lui assurant que les Autres finiraient par se lasser. C’est une immense connerie, mais si les parents ne donnaient que de bons conseils, ça se saurait.

« Hein, Vincent, tu joues pas au foot aujourd’hui ?

Arthur ponctue sa question d’une pichenette sur la joue.

- Laisse-moi tranquille.

Arthur sourit :

- Oh ! y veut que « ze le laisse tranquille » !

Devant le silence désarmé de Vincent, le gros élargit son rictus.

- Tu vas faire quoi si je continue, femmelette ?

- Je suis pas une femmelette.

- Ah « nan » ? Prouve-le : tape-moi.

- Non.

- Allez : fais pas ta chochotte !

- J’ai pas de raison de te taper.

- Tu veux que je t’en donne une, de raison ?

- Non.

- « Nan », hein ? De toute façon tu pourrais pas te défendre. T’aurais pas le cran. Je pourrais me ramener chez toi, dans ta chambre, et étrangler Croquis que tu f’rais quand même rien.

- … Parle pas de mon cochon d’inde !

- Quoi, ça te fait chier que je parle de « Croquis » ?

- J’t’emmerde !

- Tu m’ « emmerdes » ?

- Ouais !

- Et ta mère, tu sais ce que je lui fais ? Je l’en– »

Curieusement, Vincent laisse éclater sa rage et lui fiche son poing dans le ventre. Mais qu’il est gras, ce ventre !

Arthur grimace de surprise, sa face boudeuse est toute congestionnée : il attrape Vincent par le bras.

Une première claque, pour lui rappeler qui est le chef, et les autres s’enchaînèrent, pas tellement plus fortes, mais régulières, chacune s’abattant avec un bruit demi-spongieux (Arthur a les mains moites.)

« Ta mère, j’la baise ! Ton père, j’le bute ! Croquis, je l’écrase avec ma godasse et je t’oblige à lécher ! »

Arthur se sert des joues de Vincent comme cymbales.

Tiens, voilà Mme Rochard qui fait son apparition. Elle retourne vivement Arthur par l’épaule.

« Qu’est-ce qui se passe ici !

- Rien du tout, répond ce dernier.

- Il me tape, Maîtresse ! crie Vincent.

- C’est lui qu’a commencé ! Il m’a filé un coup de poing !

- Mais il insulte ma mère !

- Je ne veux pas le savoir ! gronde Mme Rochard pour mettre fin à la dispute. Retournez en classe, tous les deux, jusqu’à la fin de la récréation ! »

Et Hop, double-punition. Bizarre, pour des gens dont le métier est d’enseigner le « savoir », le nombre de choses dont ils ne veulent pas entendre parler...

(Vous ai-je dis en début de récit que Mme Rochard était une connasse ? J’ai oublié de préciser que c’était une idiote.)

 

Dans le chapitre suivant, on verra comment réaliser un masque Halloween avec de la colle à tapisserie et du papier journal. Si seulement c’était une blague...

 


CHAPITRE 4

 

 

Nous voilà chez la famille Deschamps, le samedi après-midi, au coin du feu.

M. Deschamps lit le journal, sa femme boit une tasse de thé.

La fin d’octobre approche, et notre petit Vincent voudrait s’acheter un masque pour Halloween. Il y aura une boum à l’école. L’idée vient de Delphine et Bastien, et Mme Poulain a donné son accord.

« En quoi vas-tu te déguiser, Poussin ? demande sa mère.

C’est assez drôle de voir sourire sa mère, surtout quand on voit la tête du fiston qui lui répond :

- En monstre », d’un ton lugubre de grincement de cercueil.

C’est alors que Papa lui propose de fabriquer un masque ensemble. (Et Vincent tire une tête de grincement de cercueil rouillé.)

Mais il ne discute pas, et ensemble avec son papounet, ils dégotent un vieux masque en carton des Power Rangers que ses frères ont porté des années plus tôt pour carnaval. Le coloris et les motifs sont usés, et l’élastique a la fermeté des seins de ma grand-mère.

Son père s’y connaît en bricolage. Il a souvent des idées géniales.

« Va me chercher une bassine d’eau », dit-il.

Une année, il a confectionné un glaive à partir d’une spatule en bois pour retourner les crêpes, avec un peu de corde et de colle prises dans le garage. Vincent savait, même si personne ne le lui dit, que son épée avait de loin vachement plus de gueule que celles de tous les autres garçons déguisés en chevaliers.

Ce samedi-là, pendant que les braises du feu dans la cheminée gémissent doucement, Vincent et son père s’installent dans le jardin.

Ce dernier mélange l’eau de la bassine avec un reste de plâtre à prise rapide, et coule cette boue homogène et blanche dans le masque des Power Rangers, après avoir pris soin de mettre du Scotch sur les orifices.

Quand ils démoulent le plâtre une heure plus tard, le plâtre a imprimé dans les plus petits détails les reliefs originaux, même l’inscription « Made in China ». Une fois posé sur la table du salon, cela ressemble à la coupe d’un visage fantomatique.

En voilà un tableau de famille, qu’il est mignon : Papa qui explique à son fils – avec un sourire entendu de Papa qui révèle un Grand Secret à sa progéniture – que, comme ils vont fabriquer son masque tous les deux, il sera in-cas-sa-ble. (Et puis peut-être aussi que le masque n'en aura que plus de valeur, ou quelque chose comme ça, mais comme pour le match de foot, je n'ai prêté qu'une moitié d'oreille.)

Donc, ensemble, ils passent les heures suivantes à fabriquer un masque en superposant des couches de papier journal sur le moule en plâtre. Le Papa précise qu’il en faut une bonne épaisseur – une quinzaine de couche. Et Vincent, curieux, mais un peu sceptique, se met à l’œuvre. Voilà qui me semble un bon résumé de ce captivant moment passé en famille.

Deux heures de collage, ensuite séchage sur le rebord de la cheminée.

Le masque a l’aspect sale d’une figure grise – on ne peut pas s’attendre à autre chose en utilisant du papier journal ; il me semble d’ailleurs qu’un des articles collés au niveau de l’œil parle d’une petite fille de la commune qui été séques…. Mince, il n’y a pas la suite.

Le masque donc : front large, nez robotique, aux yeux de Vincent, il est superbement flippant. Il dit à son père qu’il faudrait faire des trous dans le front pour glisser des ficelles qui feraient comme des cheveux ; mais surtout, il ne faut pas le peindre !

Vincent est fasciné. Il voit dans cette face qu’on dirait rescapée d'un incendie toute la malédiction qui pèse sur lui depuis le jour où sa mère a gueulé « AAAAARRRGGGGHHHLLL » pendant que le médecin lui disait : « Poussez ! »

 

Il se relève en pleine nuit pour se contempler dans le miroir de la salle de bain, revêtu de sa création.

Il s’est débarrassé de son pyjama, a enfilé un vieux sweat-shirt noir à capuche, trop grand pour lui (héritage de ses grands frères) et a mis son masque.

L’odeur du papier journal mêlée à celle de la colle à tapisserie est hypnotique : ça sent le cauchemar et l’angoisse. La malédiction !

Dévissons la tête de Vincent pour savoir ce qui s’y passe.

Voi-là. Eh bien :

C’est un fameux bordel !

Dieu qu’il y a de sang et de charbon là-dedans ! C’est qu'il en a des cauchemars dans la tête, le gamin.

Le visage poupin d’Arthur, avec son odieux sourire, lui traverse l’esprit.

Le visage poupin d’Arthur, avec son odieux sourire ôté de quelques dents lui traverse également l’esprit.

Vincent verrouille la salle de bain, éteint la lumière, et décrit des gestes menaçants avec ses bras.

Il ne rigole plus. (C’est un comble : a-t-il jamais rigolé ?)

C’est une guerre, et ce masque lui donne une gueule de guerrier. C’est ce qu’il pense.

Les cordelettes pendent de son front jusque sur ses épaules, comme d’épais cheveux sales ; la bouche immobile pousse un hurlement silencieux ; les trous pour les yeux s’enfoncent dans des abysses d’obscurité.

Nous allons augmenter le volume pour entendre les penser de l’intéresser :

te casser la gueule connard … vos têtes sur des piques… c’est une guerre... je vous tuerai tous…

 

 

Yiks. Quand on pense que c’est Vincent le gentil de l’histoire…


CHAPITRE 5

 

 

Allons voir à présent ce qu'y se passe chez Arthur.

Je vous fais faire le tour du propriétaire ?

Au rez-de-chaussée :

– Carrelage brun. Ça rappellerait aux nostalgiques les antiques maisons de pierre d'antan (au-then-tique) ; dans les fait, la matière dont est faite est le carrelage est poreuse, ce qui n'a rien à voir avec l'histoire, sauf dans la mesure où notre adorable tas de graisse (je parle d'Arthur) à l'impression de rentrer chaque soir dans un caveau.

– Un canapé de cuir.

– Un téléviseur tout neuf.

– Une cuisinière dernier-cri, dont Mme Debrac, la mère d'Arthur, ne se sert quasiment pas.

– Un chien. Un vrai chien, qui fait pipi et caca, qui remue la queue, et qui reçoit d'affectueux coups de pieds dans les côtes chaque fois qu'Arthur a l'occasion de lui en donner – à quoi Mme Debrac intervient de sa voix lasse, si sensuelle et grave de fumeuse : « Arthur, laisse ce chien tranquille » 

(Ouaip ! On y croit tous, M'man!)

À l'étage :

– La chambre des M. et Mme Debrac.

– La salle de bain, avec baignoire et chiottes.

– La chambre d'Arthur.

– Et une petite pièce qui pourrait servir de chambre et qui ne sert à rien.

Au grenier :

– Des cartons.

– Des toiles d'araignées.

 

Tout ça pue le renfermé, et la tapisserie à fleurs sombres dans le style « suicide automnale » se passe de commentaires, mais Papa Debrac a prévenu dès leur emménagement qu’il ne ferait pas de travaux. Mornay, c'est juste une étape. Ils ont quitté la Bretagne (Arthur a perdu tous ses amis), ils sont passé par ici, ils repasseront par là…

Ils ont prévu de rester, deux au plus. Alors des travaux, pffff…

 

En rentrant de l'école, Arthur se déchausse dans le couloir, s’immobilise au milieu du salon. Dans ce calme, mes amis, ce silence statique, on entend le bruit de l'ennui (et si Arthur ne faisait pas le bruit de l'ennui, on pourrait croire qu'il est mort).

Il trouve sur la table basse du salon devant la télé le mot que sa mère lui laisse toujours en partant au travail :

« Arthur il y a une barquette de hachis parmentier pour dîner allume le four pense à faire tes devoirs. »

Ses parents sont gérants d’un bar-brasserie dans la galerie d’Intermarché depuis que son père a reçu sa mutation.

Tous les soirs, un plat exquis et délicat venant du rayon traiteur attend Arthur dans le réfrigérateur. Eh ! On déconne pas chez les Debrac : du réchauffé, oui, mais du réchauffé de luxe seulement !

La cuisine ouverte sur le salon dégage toujours une odeur de détergent, vu que Mme Debrac nettoie plus qu'elle ne cuisine.

À cause de leur travail, ses parents ne rentrent pas manger le soir : Arthur enfourne machinalement la barquette dans le four à micro-ondes en se demandant s’il y a des trucs chouettes à la télévision (À l’école, il se vante de manger tout seul à l’heure qu’il veut et devant la télé.)

Attendez ! Là je dis STOP : bougre de tas de graisse ! Maman t'a dit de mettre la barquette dans le four, et toi tu fais réchauffer un summum de qualité culinaire dans le four à micro-ondes ? Tu te fous de la gueule de qui, petit con ?

Bref.

Deux années à ce rythme, et Arthur et ses parents vivent toujours à Mornay.

Pendant les premiers mois qui ont suivi leur emménagement, Arthur a scrupuleusement respecté les consignes de ses parents, à savoir : il a mangé tout seul, faire ses devoirs tout seul et se mettre au lit tout seul. (Je suis certain qu'un astérisque renvoyant en bas de page du contrat précise en petits caractères qu'il doit aussi « fermer sa gueule », mais il faudrait que je vérifie.)

Arthur mange et fait ses devoirs et se couche.

Alors, plongé dans un sommeil épais comme de la vase, il entend le claquement de la porte d’entrée. Pour lui, le sommeil relève du cauchemar (hé,hé) il associe le bruit de la porte au retour de ses parents, et lutte pour se relever, pour sortir de la chambre et descendre les voir. MAIS, tintintin… il n’arrive jamais à se émerger complètement.

Il se réveille aux alentours de 3 ou 4h du matin, en partie à cause de ses parents, et mais aussi à cause de sa vessie. La chambre, mes amis, est plongée dans le noir et le silence complets.

Il a tendance à penser, sans vouloir l'admettre parce que c'est un sale gosse, mais un bon fils, que ses parents sont des connards. (Ses parents sont effectivement des connards, mais ça, Arthur ne le sait pas vraiment.)

Dévissons lui la tête, pour voir ce qu'il y a dedans :

vous déteste … dans un accident de voiture… me tuerai…

Ah ouais.

 

Depuis la rentrée, Arthur ne respecte plus les règles.

Il veille et bouffe sans horaires, se met en pyjama, s’affale devant la télé, s’accorde autant de parties de Batman sur Mega Drive qu'il veut. (D'ailleurs ça lui fatigue les yeux, à notre tas de Saint-Doux, et il finit immanquablement par se choper un super mal de crâne.)

Il prend aussi plaisir à attendre que ses parents reviennent, le grondent de ne pas être au lit, lui demandent si ses devoirs sont faits – ils partent du principe que ce n’était pas le cas –, lui disent d’aller dans sa chambre, qu’ils sont fatigués. Les clients, par les employés incompétents, distraits ou qui arrivaient en retard.

Si ça se trouve y a même des Noirs parmi le personnel ! (ceux-là, pense très fort Mme Debrac, faut les avoir à l'oeil.)

M. et Mme Debrac ont le souci de faire tourner leur brasserie.

L’attention qui manque à leur fils, ils la convertissent, en jouets, en gavage de sucre et de graisse. Sur le plan mathématique c'est très simple.

Observons un petit extrait de conversation de Mme Debrac à Arthur, un soir qu'elle rentre un peu plus tôt :

– Tu as mangé ?

Oui.

Il n’y a pas de restes ?

Non.

Tu as fait tes devoirs ?

Presque fini.

Alors monte les finir.

Promis, c'est sans montage.

Maman Debrac n’a pas le temps de l’aider à faire ses devoirs, et Arthur suit la politique du moindre effort ; une technique consistant à laisser en blanc un tiers des questions et à placer les blancs à des endroits stratégiques pour que la maîtresse croit qu’il n’avait pas trouvé la réponse.

Le système fonctionne assez bien. Les maîtres le prennent pour un élève médiocre, ni plus, ni moins.

Papa et Maman Debrac ne lui demandent pas s’il a bien travaillé à l’école (parce qu'ils n'en ont rien à foutre).

De mémoire, Petit Arthur n’a jamais reçu ni félicitations ni réprimandes pour ses notes, pour les médiocres 10 ou 9/20 qui récolte fréquemment ; sa mère l’a juste engueulé une fois, parce qu’il avait dégringolé à 7, et que la maîtresse (Mme Rochard, c'était pas de bol), a voulu la rencontrer pour parler de ses résultats en baisse : « Tu crois que je n’ai que ça à faire ? », a crié sa mère, en agitant rageusement sous ses yeux le contrôle bariolé de stylo rouge.

 

QUE-DE-PRO-BLEMES.

Il y a ses gentils parents, sa gentille école, et les autres.

Et ouais, c'est qu'il a fallu s'occuper de se faire des nouveaux copains.

Mais il y avait surtout des filles dans le quartier, et la plupart n'ont pas tardé à le trouver bête et méchant. (La bêtise est un point litigieux ; pour la méchanceté, elles ont eu du flair.)

Arthur a eu le choix de se montrer sympa ou de jouer les caïds : or, tirer les cheveux des filles et faire semblant de leur donner des baffes, n’était pas la bonne méthode.

Avec Marc, ça a été plus simple. Il a suffi lui passer de la pommade (expression qu'Arthur ne connaît mais dont il a tout le savoir-faire), de savoir jouer au foot et de se moquer des élèves les plus effacés de l’école.

Avec Vincent, il a trouvé une cible de choix. Il se moquait de lui à l’école, allait sonner chez lui après les cours en prenant un air de chien battu, et cette chochotte ne faisait rien, à part enrager tout seul et pleurer comme une fille.

 

 

Arthur malaxe les bourrelets de son ventre en observant son reflet dans l’écran muet du téléviseur. Puis, cette histoire de boum d'Halloween lui revint en tête. Désœuvré, il quitte le canapé pour fouiller au grenier.

Les combles sont poussiéreuses, mais pas très encombrées : une quinzaine de cartons, jamais déballées, condamnés par du gros Scotch.

Il arrache le ruban adhésif du sixième carton et fouille jusqu’à mettre la main sur un objet en plastique.

C’est le masque du tueur, dans « Scream » : Arthur a acheté la cassette du film (interdit aux moins de 12 ans) chez Intermarché, avec la bénédiction agacée de ses parents. Du plastique phosphorescent cousu sur une cagoule de nylon noir, comme celle d’un bourreau devant sa guillotine.

Un vague sourire traverse son visage pendant qu’il s’imagine ficher la trouille aux filles de la classe en se planquant dans les toilettes du préau.

Le grenier est silencieux comme un caveau, figé dans la grisaille lugubre qui tombe du Velux. Il enfile le masque.

 

 

AU SUIVANT !


CHAPITRE 6

 

 

Nous voici avec Teddy et Nicolas chez Michigan, un magasin qui fermera ses portes quelques courtes années plus tard, mais ce n’est pas le sujet. Officiellement, c’est un magasin de bricolage, mais la devise en est « Tout pour la maison ». Vous passez les portes et le tourniquez, puis des rayons « déco » avec des canapés bas de gamme et des chaises pliantes, de l’herbe artificielle à prendre au mètre carré ; un peu plus loin, ce que j’appelle le « rayon pauvres » : deux rangées de faux Action-Man (Le plus grand de tous les héros!) et de pâles imitations de Barbies avec tous les accessoires de haute qualité qui vont avec. Les pistolets mitrailleurs qui font « piou-piou » quand on dégomme un copain – imaginaire ou pas – des arcs en plastiques et leurs flèches qui font peine à voir...

Et tout ce merdier moins cher que chez Leclerc, ça dépanne les familles qui n’ont pas un rond pour Noël, mais qui ont des gosses avec de beaux rêves de jolies cadeaux plein les yeux.

On note aussi qu’à cette époque, la boutique « Jouet Club », qui, elle, vend des poupées et d’autres jouets de bien meilleur facture, existe encore à Mornay.

Vous me direz :

Monsieur G., pourquoi vous nous racontez tout ça ?

Pour que tu te couches moins bête ce soir, crétin, et pour t’expliquer que Teddy et Nicolas viennent tous les deux de familles qui vivent en HLM et qui ont autant de fric dans leur lare-feuille qu’il y a d’oxygène dans l’espace.

 

Revenons en donc, Tintintin... à Teddy et Nicolas.

On trouve chez Michigan tout un tas de bidules en vente libre « à utiliser uniquement sous la surveillance d’un adulte ». (Je me marre).

Les deux garnements sont tombés sur une paire de canines, alors qu’ils cherchaient des pétards Démon – le modèle « Démon K1 », vendus par huit –, et Teddy pense que ces dents en plastique lui donneraient un air menaçant idéal pour la « boum de pédés* » prévue par Delphine et Bastien.

 

* La direction du « Kids Show » précise aux sympatisants du LGBT que ce récit se déroule en 2001, que l’homophobie et les blagues qui vont avec sont très courantes à l’époque ; et surtout, que Teddy n’a probablement aucune idée de ce qu’elle signifie réellement.

 

Pause :

Mes P’tits Amis, une bonne partie de cette boum va être chiante (pour moi), et je n’ai aucune envie de me retaper une autre liste, alors préparez-vous : pour les vioques, chaussez vos lunettes, et pour les moins myopes, préparez vos yeux, parce que ça va aller très vite :

 

On a poussé les tables et les chaises contre les murs – On a servi du Coca-Cola et du Jus d’orange, ainsi qu’un saladier de bonbons sur le bureau du prof – Delphine a ramené de chez elle sont poste CD-cassette, et deux petits projecteurs multicolores pour l’éclairage.

(Dieu que j’ai envie d’un whisky.)

En fond sonore un CD des Back Street Boys, mais les filles sont trop timides pour danser et les garçons trop timides pour les inviter – Marc échange des coups de coude avec ses copains, dont Arthur, et se foutent discrètement de la gueule des élèves en retrait. (Discrètement parce que la musique couvre en partie leurs moqueries.)

Delphine s’occupe des boissons, passe un autre disque, règle les spots pour changer la lumière – Les gamins sont déguisés, de petites comètes défilent sur les murs et le plafond, c’est chiant à raconter, et pendant ce temps, Mme Poulain, sur le banc à l’extérieur de la classe, surveille à la fois la boum, et la récré.

 

Z’avez suivi ? Eh bien, retournez lire le paragraphe précédent, moi, je vais fumer une clope.

 

ENFIN !

 

L’élément « action » arrive en là personne de Teddy (et de Nicolas).

Mme Poulain s’étonne de voir les deux élèves en tenue civile.

« Alors, les garçons, vous n’êtes pas déguisés ? »

Teddy dévoile ses canines de vampire.

 

Ils entrent en classe. Tintintin…

(Mon Dieu, le suspens est si insoutenable que ça tient même plus d'une pressant envie de pisser, j'en ai carrément une infection urinaire!)

 

 

*

 

Pendant ce temps, notre Petit Vincent se chie dessus. Façon de parler : ses parents l’ont élevé mieux que ça, tout de même !

Pour ceux qui ont la mémoire courte, il a fabriqué un masque avec son Papa, et il a peur que les autres se moquent de lui. Allez, courage, mon petit ! On y croit !

 

Allez ! Vas-y ! (Là, c’est Vincent qui s’auto-encourage.)

Mais, comment dire...

C’est facile et enivrant d’enfiler son masque en pleine nuit, devant le miroir de la salle de bains, et de s’imaginer un génocide de CP et de CM ; ça l’est beaucoup moins de porter sa création à l’école, même le jour de la boum d’Halloween.

Il ressent autant le désir de montrer le masque à tout le monde, que la crainte qu’on l’humilie une fois de plus.

(Entre nous soit dit, t’as raison d’avoir peur, gamin, sinon ce récit serait terminé depuis longtemps, et moi je pourrais faire des « Trucs de Grands » avec ma maîtresse, ce qui est bien plus divertissant que de raconter vos histoires à la c**.)

 

Vincent passe presque tout l’après-midi cloîtré dans les toilettes du préau. C’est loooong…

Il compte jusqu’à trente avant de trouver le courage de tirer le verrou de la cabine. Les toilettes sont désertes. Il se trouve seul devant son reflet au-dessus des lavabos.

Vincent prend une très profonde et une très mauvaise inspiration – de la poitrine, pile celle qui rajoute du stress.

Il hume l’odeur du papier journal et de la colle à tapisserie, pour se donner du courage, comme pour se shooter, peut-être, allez savoir : je ne suis que narrateur, et j'ai flemme de lui dévisser la tête aujourd'hui ; ça se voit qu'il est pas bien, ce gosse.

 

Son entrée passe complètement inaperçue.

Les projecteurs continuent à projeter leurs « zolis zastres » bleus, rouges, jaunes et verts ; la musique continue de Boys Bander, et les bavardages se poursuivent sans qu’on le remarque, ce qui, pour le moment, fait très bien fait son affaire.

Vincent se place près de Delphine. Cette dernière, occupée à remplir un gobelet de soda, ne voit qu’un instant plus tard le visage gris, au cri figé, qui flotte comme un spectre décapité dans la pénombre de la boum.

Elle sursaute violemment.

Puis, après un temps de réflexion nécessaire à se demander : « Pourquoi il y a une tête brûlée avec un jean trop grand et un sweat noir à capuche trop grand aussi ? », elle demande :

« T’es déguisé en quoi ? »

Encore anonyme, et la voix assourdie sous son visage incendiaire, Vincent lui répond qu’il est un monstre.

Delphine ne le quitte pas des yeux. (D’ailleurs, ça lui donne l’air nigaude, ce qui n’est pas une expression courante chez elle.)

« Tu es qui, en dessous ? »

La capuche tombe. Ainsi que le masque.

« Vincent ? s’étonne-t-elle. Tu m’as fait peur ! »

Vincent prend ça comme un compliment (à tort : Delphine a juste eu peur), mais c’est la première fois qu’une fille de l’école lui dit quelque chose qui à l'air gentil (du moins, il le croit) : c’est-y pas mignon...

« Je peux voir ton masque ? »

Vincent le lui tend. Elle l’examine, l’enfile avec précaution.

« Il sent bizarre », remarque-t-elle.

Vincent explique qu’il l’a fait lui-même, avec du papier mâché, blablabla....

 

« Delphine, t’es où ? » s’enquière une voix dans la salle.

 

 

La fillette fait glisser le masque sur son front.

« C’est quoi ce machin ? demande Bastien.

(Note du narrateur : c’est un masque, crétin ! C’est une boum d’Halloween !)

- T’as vu ? répond Delphine en montrant le masque, C’est Vincent qui l’a fabriqué.

Son attitude est un curieux mélange d’enthousiasme et d’inquiétude.

L’enthousiasme, c’est parce que notre petite Delphine aime bien les arts plastiques, et qu’elle trouve que le masque en jette.

L’inquiétude, c’est que Vincent, qui jusqu’à lors lui inspirait de la pitié, commence à lui foutre les boules.

Bastien prend le masque, l’observe, se dit qu’il faut pas être bien dans sa tête pour fabriquer un truc pareil, et ressent, assez curieusement, cinq pour cent de compassion, ou d’intérêt, il ne sait pas trop, pour notre Tête de Turc attitrée.

- Pas mal », dit-il.

Puis Marc appelle Bastien : Arthur est en train de raconter un truc super drôle !

Arthur déboule une minute plus tard, tout en rondeurs molles en dessous de son déguisement. Vincent prie dans sa tête pour que Arthur s’en tienne à son histoire drôle et qu’il le laisse tranquille. Il prie très fort, il prie la Vierge Marie.

(Celle qui a subi une épisiotomie pour accoucher du petit Jésus : faudrait pas trop prendre les enfants du Cathé pour des imbéciles).

Mais Arthur repère Vincent :

Tintintin...

« C’est quoi ce bidule ? demande Arthur.

 

(Excusez-moi une seconde : hum… C'EST UN MASQUE D'HALLOWEEN ! PUTAINS DE GOSSES HANDICAPES DU BULBE !!!)

 

Reprenons :

 

Bastien a beau être intelligent, il trouve Arthur trop bête pour se méfier de lui.

- Ça se voit, non ? répond-il, agacé. C’est un masque.
- Il est bizarre, répond le gros garçon en gonflant ses joues. Fais voir.
- Demande à Vincent. C’est le sien.

Le visage d’Arthur s’illumine :

- C’est le tien ?
- Ouais, répond Vincent à contrecœur. Je l’ai fait avec mon père »

Arthur le lui prend des mains et y enfouit sa tête.

Vincent fait une moue dégoûtée, songeant au crâne plus large et plus rond d’Arthur, à ses cheveux gras...

C’est au tour de Marc de s’approcher : C’est quoi ce binz, un masque ? Oui, ça il le voit, il est pas bête non plus.

« C’est Vincent qui l’a fait, intervient Arthur. Tout seul, comme un grand »

Ouais, il l’a « un peu » fabriqué lui-même, précise Vincent, sentant une raideur s’installer dans sa nuque.

Comme il raconte à Marc son après-midi de bricolage, ce dernier le coupe dans ses explications, et dit crânement que ça ne vaut pas un masque qu’il aurait pu acheter. Et d’ailleurs, pourquoi il n’en a pas acheté ? Il n’a pas d’argent de poche ? Ses parents sont pauvres ?

Arthur ameute la classe.

Teddy et Nicolas quittent leur radiateur.

Le masque passe de main en main, pour se retrouver dans celles de Marc, qui le fait accidentellement tomber par terre.

« Merde », dit-il, se baissant pour le ramasser.

Y a pas de bile à se faire, répond Vincent : c’est du papier mâché, c’est très solide.

 

ALORS :

 

Teddy s’en empare. Il fait mine de le déchirer, affichant un sourire vampirique :

« Ch’est pas d’la merde, reconnaît-il entre ses canines. Vaj-y, techte. »

Nicolas force sur le haut du crâne, la partie la plus arrondie, et s’avoue vaincu, déçu de ne pas avoir pu le casser.

- Pas d’la merde. Faudrait des gros ciseaux pour venir à bout de ce machin. »

Vincent frémit : le masque, prétendument indestructible, se trouve de nouveau entre les mains d’Arthur.

 

PAUSE

 

Les élèves sont retournés occuper leurs coins de classe.

Vincent ne quitte pas Arthur des yeux.

Avec lui, il s’attend toujours au pire, et il a raison.

Pas d’étonnement : seulement de la peine et une bouffée de colère quand il voit Arthur poser délicatement le masque – sa création, sa gueule de guerrier – sur l’une des chaises alignées contre le mur, et s’asseoir dessus.

 

ALORS :

 

Arthur fixe lui aussi Vincent, en retour, d’un air angélique.

Ce sourire qui le nargue, ces sourcils qui oscillent de bas en haut sur son front lisse : T’oseras rien dire, hein, p’tite femmelette ?

Arthur tape dans le mille. Vincent ne dit rien.

Quelques secondes plus tard, le CD de Delphine arrive à la fin de la dernière piste ; l’ambiance s’éclaircit pendant quelques instants, et cette interruption suffit : on entend détonner un tel bruit de flatulence qu’il doit s’agir soit d’une imitation, soit d’un vrai pet, particulièrement gras.

Toutes les têtes se tournent vers Arthur. Les réactions restent en suspens. L’incertitude a temporairement bloqué la parole à ceux qui se seraient empressés de rire, jusqu’à ce que Delphine brise ce fragile équilibre, s’écriant :

« Arthur, t’as pété ! »

Le sourire d’Arthur lui répond : Oh que oui, sale naine de petite connasse de chouchoute...

 

La direction du « Kids Show » se permet une brève interruption dans le récit pour se désolidariser des pensées insultantes d’Arthur. Il va de soi que les naines, les connasses, et les lécheuses de pompes ont droit au respect comme tout un chacun.

Monsieur G., vous pouvez poursuivre.

 

Oui, les P’tits Amis, poursuivons :

« Sur le masque de Vincent, en plus ! s’indigne Delphine, T’es dégueulasse ! Lève-toi ! »

Elle fait trois pas jusqu’au garçon et lui balance un coup de pied dans le tibia.

Arthur obtempère, amusé par tant de furie.

« Relax, j’ai pas pété pour de vrai, dit notre violoniste sphincteriel en gonflant les joues, j’ai fait le bruit avec ma bouche.

- T’es qu’un sale menteur !
- Je te dis que j’ai fait semblant ! (puis, enchaînant d’une voix suave) : T’as qu’à renifler l’intérieur si tu me crois pas. »

Delphine fait une grimace de répugnance à l’idée de sentir ce que dégagent les profondeurs anales d’Arthur. Elle quitte la classe.

Vincent effleure tristement son masque des yeux.

Il ne mettra jamais quoique ce soit qui ait été en contact avec le cul ramolli d’Arthur, qu’il ait ouvert les gaz ou non.

Manque de chance, ce dernier se fait la même réflexion, et s’avance vers lui :

« J’avais pas vu qu’il était sur la chaise. En tout cas, il est vraiment super costaud. »

Arthur tend le masque ; Vincent serre les dents : le gros aurait chié dedans que ce serait pareil. Il l’écarte d’un geste de répulsion et la coque de papier tombe sur le sol.

« T’es con ou quoi ? J’te le rends !

- Tu peux le garder, crache Vincent.
- J’me suis pas assis exprès, débile !
- T’as largué une caisse sur mon masque !
- C’était pas pour de vraiii ! » fait Arthur, entre la moquerie et l’agacement, tout en vissant un index sur sa tempe.

Il ramasse le masque et le lui met de force entre les mains.

« T’as peur que ça pue ? »

Vincent se débat, mais Arthur attrape ses maigres poignets dans l’étau de ses doigts boudinés.

De sa main libre, il écrase le masque sur le visage de Vincent, libère sa prise et en profite pour lui passer l’élastique derrière les oreilles. Il jubile :

« Alors ? Ça schlingue comme une usine à prouts ? Tu trouves que ça sent le cul, face de pet ? »

Cette dernière phrase, qui figurera sans doute au Panthéon des plus poétiques d’Arthur, déclenche un rire collectif.

Affamé de gloire et grisé par le succès, le gros se place derrière Vincent et lui fait une clef dans le dos pour lui bloquer le bras.

« Allez, respire-moi cet air pur ! »

Les filles poussent des cris de dégoût.

 

Quand Arthur consent enfin à le libérer, Vincent se réfugie dehors, sous les ovations du public masculin :

« FACE DE PET ! FACE DE PET ! »

 

 

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